Un bagnard en Nouvelle-Calédonie

Frère d’un de mes ascendants direct, Jean Théodore Sibot (1830-1905), que j’ai déjà présenté (Cf. article INNOCENT), fut condamné au bagne le 11 octobre 1875, ou plus exactement aux travaux forcés à perpétuité. Le pourvoi en cassation étant rejeté le 18 novembre 1875, c’est ce même jour que sa peine débute. Il est alors transporté au bagne de Nouvelle-Calédonie, après un voyage de plusieurs mois. Je vous propose de vous présenter ce que furent ses dernières années sur cette terre, où il décéda le 11 septembre 1905, à travers les informations contenues dans son dossier « de bagnard ».

C’est aux Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM) que vous pourrez retrouver la trace des bagnards et BagnardEs (il ne faut pas oublier que de nombreuses femmes eurent aussi à fréquenter ces lieux). C’est donc notamment en demandant la communication de son dossier administratif, que j’ai pu mieux appréhender les dernières années de la vie de Jean Théodore.

Les principaux bâtiments du bagne de Nouvelle-Calédonie sont situés sur l’ïle Nou. Là ont été érigées diverses constructions : cases des forçats, quartier cellulaire, ateliers, magasins, casernes et hôpital.

La Nouvelle Calédonie, 1872 – Localisation de l’Île Nou (Source : BNF)

Jean Théodore fut très probablement détenu au pénitencier de l’ïle Nou. Le 9 septembre 1887, il obtient une commutation de sa peine en vingt ans de travaux forcés.

Le pénitencier, autonome, produisait ses matériaux (fabrique de briques, coulage de bronze…), et utilisait les forçats pour extraire, en dehors du pénitencier, la pierre nécessaire à leurs travaux. Ils travaillaient par ailleurs dans des fermes extérieures pour y produire par exemple des légumes ou du lait. Les exploitations sucrières les utilisaient également, tout comme il pouvait travailler dans des mines. Certains ateliers étaient consacrés à la fabrication de boîtes de conserve, d’autres à la confection des tenues des forçats. Finalement, tous les travaux utiles au pénitencier, et plus largement à la vie de cette « communauté » étaient  strictement organisés, qu’il s’agisse de la corvée d’eau ou encore de la modernisation de l’île, comme lors des travaux de la ligne de chemin de fer Nouméa-Païta.

En 1889, âgé de cinquante-neuf ans, il sollicite l’octroi d’une concession, et obtient, le 18 août 1889, à titre provisoire, la concession convoitée pour exercer la profession de peintre. Il est installé au Village de Bourail, sur le lot Urbain (lot n°3187 composé d’un terrain à bâtir, n° 87 et d’un lot maraîcher, n°15), à 160 kilomètres au nord ouest de Nouméa. Bourail était un centre pénitencier agricole.

Bourail, une concession vers 1871 (Source : service des archives e la Nouvelle-Calédonie, album Robin-de-Greslan)

Jean Théodore se conforme à son engagement, et met tout en œuvre pour améliorer son sort. Sur sa concession, il construit une maison avec jardin. Sur les 15 hectares de terre qui lui ont été octroyés, il plante 300 pieds de café, diverses espèces d’arbres fruitiers, le tout entouré d’une palissade. La volonté dont il fait preuve pour mener à bien son projet lui permet d’obtenir, le 9 septembre 1893, une remise de deux années, lui permettant d’être libérable en 1905.

Toutefois, l’âge aidant, à partir de 1898, Jean Théodore fait parler de lui. Il a alors soixante-huit ans. Diverses observations lui valent un avertissement le 2 septembre, pour inconduite et absence continuelle sur sa concession. Le 16 octobre suivant, il comparaît devant la commission disciplinaire pour absence de sa concession. Un an plus tard, le 1er octobre 1899, il reçoit un deuxième avertissement pour persistance à ne pas porter la tenue réglementaire, absences fréquentes de sa concession, et pour négliger sa profession. Le 7 janvier 1900, il reçoit un troisième avertissement, pour ivresse manifeste et publique, constatée par la gendarmerie, et attitude inconvenable devant la commission disciplinaire. Le 20 février, il est admis à l’hôpital de l’Île Nou pour hémiplégie.

Un rapport en date du 10 avril 1901 est sans détours. Jean Théodore y est décrit comme étant vieux, usé, ivrogne et paresseux. Vivant de la pêche et de quelques courses, il survit grâce aux expédients et subsides que lui donnent ses voisins. Il est maintenu à l’hôpital, bien que sa guérison soit  décrite comme étant peu probable.

Ce même rapport propose que sa concession lui soit retirée, au motif que la commission chargée de la visite des concessions estime que le condamné Sibot ne mérite pas de jouir plus longtemps de la faveur que l’administration lui a accordée, et qu’il doit, de ce fait, être dépossédé d’urgence du lot urbain n°87 qui lui a été attribué le 18 août 1889. Lequel lot doit faire purement et simplement retour au domaine pénitentiaire.

Le 29 mai 1901, le conseil privé acte de cette dépossession. Cela a pour conséquence la vente des objets laissés par lui sur ladite concession, pour un montant de 50,80 francs.

Jean Théodore remet en cause cette décision, sollicitant, dans un premier temps, le Chef du Service Judiciaire, puis, le 26 juin 1901, le Ministre des Colonies pour abus de pouvoir. Il fait état d’un ouragan terrible qui aurait détruit ses biens, expliquant ainsi ses manquements, aggravés du fait de la maladie, induite, selon lui, par un excès de travail. Il accuse par ailleurs le commandant Pénel, commandant le centre de Bourail, d’avoir profité des circonstances pour intervenir auprès de l’administration pénitentiaire et le déposséder sans autre motif. Il n’obtiendra cependant pas gain de cause.

Extrait du recours formulé par Jean Théodore Sibot

Nulle information sur la sortie d’hôpital de Jean Théodore, ni sur la durée de son séjour. On ne sait finalement comment ni où il vit entre 1901 et 1904. Le fait est que la date de sa libération coïncidera avec son décès. En effet, Jean Théodore décède le 11 septembre 1905 à neuf heures, sur la presqu’île de Ducos, non loin du lieu où il débarquait presque trente ans plus tôt. Ce sont les surveillants militaires Etienne Antonelli, quarante-trois ans, et Germain Ferdil, quarante-quatre ans, qui déclarent son décès auprès de Jean Godoffre, Commandant de pénitencière. Son décès est transcrit le 15 juin 1907 sur les registres de l’état civil de la commune de Maison Alfort.

Que nous reste-t-il de Jean Théodore ? Quelques courriers, une carte d’électeur, des quittances relatives à l’achat d’un bien immobilier… et de nombreuses coupures de presse relative à son jugement…

Source principale :

  • ANOM – Dossier FR ANOM COL H 748 (matricule n°8153-12507)

Bibliographie :

  • BARBANCON, Louis-José, L’archipel des forçats, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2005
  • KRAKOVITCH, Odile, Les femmes bagnardes, Paris, Olivier Orban, 1990
  • N.D., Nouvelle Calédonie, au temps des bagnes, Paris, Editions Atlas, 1986
  • ROBERT Pierre-Philippe, Des galères au bagne, Montreuil-Bellay, Editions C.M.D., 1999

5 commentaires sur « Un bagnard en Nouvelle-Calédonie »

    1. Bonjour,

      effectivement, la consultation des dossiers se fait sur place.
      Si vous ne pouvez pas vous déplacer, vous pouvez faire appel à un généalogiste familial professionnel qui pourra procéder à la reprographie du dossier pour votre compte. N’hésitez pas à me solliciter si vous souhaitez que je vous recommande un(e) collègue.

      A bientôt,

      Michèle Bodénès,
      Généalogiste familiale

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