Grandes facilités

Le 3 février 1843, le sous-préfet de Dinan interpelle les administrateurs de l’hospice de Dinan sur l’opportunité d’examiner la mise en place d’un système qui fasse cesser les trop grandes facilités d’abandon des enfants, ouvertes à l’abus, tout en ménageant d’autres intérêts dont [il] sait toute l’importance (il est fait ici mention des intérêts financiers du département… et surtout des dépenses induites par la prise en charge des enfants).

Le sous-préfet fait référence à l’éventuelle suppression du tour, aménagé après 1811 afin de permettre l’exposition d’enfants, et ce afin de réduire principalement le nombre d’infanticides.

A Dinan, la présence du tour fait polémique, et se heurte à deux problèmes majeurs que sont l’exposition d’enfants légitimes d’une part, et l’exposition d’enfants provenant d’autres départements d’autre part… ce qui constitue un préjudice financier au département.

Gravure du XIXème siècle représentant l’abandon d’un nouveau-né dans un tour.
Artiste inconnu.

C’est ainsi que le 28 octobre 1835, la fermeture du tour est actée… mais ne diminue en rien les expositions, les enfants étant alors déposés sur le pavé de la porte de l’hospice. L’inspecteur des services de bienfaisance confirme qu’en 1836, 80% des enfants exposés proviennent du département limitrophe d’Ille-et-Vilaine. Les années suivantes, la fermeture du tour de Dol-de-Bretagne (1837) ou celui de Saint-Malo (1840), ne font qu’accentuer le phénomène.

Ce courrier de 1843 est le début d’une réflexion qui aboutira… à la ré-ouverture du tour de l’hospice de Dinan, non sans mettre en place des mesures sensées réduire les expositions. La mesure principale consistait en la traque des déposants, jusqu’au début des années 1860. la mise en place de ce protocole étant conforté par le fait que la majorité des parents ayant ensuite réclamé leur(s) enfant(s) étaient des couples légitimes…

C’est grâce à une collaboration étroite avec le commissariat de police que la mesure se met en place. Néanmoins, sur la seule année 1850, il ne fut possible d’identifier les parents que de trois enfants.. ce qui conduisit à une seconde fermeture du tour au 1er janvier 1851… sans davantage de résultats que la première…

Si les enquêtes mènent parfois à des résultats, ils ne sont guère plus fructueux qu’en 1850, et ce malgré la collaboration des sages-femmes, qui n’hésitaient pas à collaborer, particulièrement si la mère n’avait pas réglé son dû. Néanmoins, devant les résultats considérés comme peu probants, la police n’hésite alors pas à surveiller les femmes enceintes, ce à quoi le Préfet s’opposera, cette pratique étant contraire à la législation.

Albert Anker (1831-1910), La nurserie, 1890, huile sur toile
Musée des Beaux-Arts de Winterthour.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les enfants exposés sont 45 et 1840, 65 en 1846, puis dépassent la barre des 100 en 1848, allant jusqu’à atteindre 138 en 1859. Un tournant s’opère alors dans les expositions, qui baissent graduellement, après qu’il soit décidé de punir pénalement les parents exposants dès 1862. Ce sont alors les admissions d’orphelins et de pauvres qui deviennent la règle. Le Préfet ordonne en effet l’ouverture, au 1er janvier 1862, d’un Bureau des Admissions dans chacun des cinq arrondissements des Côtes-du-Nord, bureau où les mères peuvent abandonner leur enfant à condition de donner leur identité et leur adresse. 1884 sera la dernière année d’admission d’enfants trouvés à l’hospice de Dinan.

Dans les faits, « grandes facilités » ou pas, la pauvreté aura, en un siècle, évolué. Les mentalités aussi. Si la pauvreté de certaines familles et de leurs enfants perdure, les secours s’organisent pour permettre au plus grand nombre de bénéficier d’un soutien qu’ils ne connaissaient pas jusqu’alors… ou pour pouvoir, grâce à une organisation administrative dédiée, offrir à leur enfant un avenir qu’ils ne pensent pas pouvoir mettre en œuvre.

Hospice de Dinan – Emplacement du tour

Source :
– Archives de l’hôpital de Dinan

Bibliographie :
– Revue Pays de Dinan
– LE BOULANGER, Isabelle, L’abandon d’enfants, l’exemple des Côtes-du-Nord au XIXème siècle, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2011 Sitographie :
https://compediart.com

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