Challenge #projet52uprog
Au court du XIXème siècle, si les durées d’engagement ont pu évoluer, le principe du remplacement ou de l’exonération a été d’usage jusqu’en 1872. Il est en effet possible de pallier au tirage au sort d’un « mauvais » numéro en mandant un remplaçant – moyennant finances – pour toute la durée du service militaire (6 à 8 ans) ou une partie du service s’il a été commencé. Un accord – parfois établi devant notaire – était alors acté entre le remplaçant et le remplacé. Le principe du remplacement avait pour corollaire la recherche de remplaçants dans tout le pays, sur fond de transactions financières organisées par des intermédiaires.
A partir d’avril 1855, si la compensation financière perdure, elle sera cependant versée à l’armée et sera désormais nommée « exonération ».
J’ai fait le choix de porter mon étude sur la période 1840-1871 (AD35, cotes 1R1131 et 1R 1132). Pour cette période, les registres d’Ille-et-Vilaine sont tenus en deux catégories : les Brétiliens (habitants d’Ille-et-Vilaine) d’une part, et les conscrits d’autres départements d’autre part.
Selon les années, les substitutions peuvent parfois ne concerner aucun conscrit (comme en 1864 par exemple) ou, au contraire, concerner plusieurs dizaines de jeunes gens.

CLASSE 1864 (AD 35 1R 1132)
Le graphique ci-dessous permet de visualiser rapidement les quelques 3.502 jeunes brétiliens concernés, entre 1840 et 1871.

Les substitutions de Brétilliens 1840-1871
S’agissant des conscrits issus d’autres départements, ils ne sont pas moins de 1.411 sur la même période. Les conseils de révision actant ces remplacements peuvent être situés dans des départements plus… (Corrèze, Haute-Vienne, Indre, Indre-et-Loire, Loiret, Seine (actuel département des Yvelines), Vienne…) … ou moins lointains (Calvados, Cher, Côtes-d’Armor, Eure, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Seine-Maritime…).
Globalement, sur les 4.913 remplaçants décrits, 28,72% sont issus d’autres départements. Nul étonnement quant au nombre de remplaçants hors Ille-et-Vilaine. En effet, il s’agissait alors d’un vrai « commerce d’hommes » destinés à répondre à une demande bien réelle.
L’étude attentive des registres nous apporte de nombreux renseignements sur les substitutions. Certaines ne sont que la résultante d’une négociation financière, alors que d’autres consistent en des remplacements au sein d’une même fratrie. Chaque situation mérite d’être étudiée au regard de l’histoire de chaque famille. Qu’est-ce qui peut avoir justifié qu’un frère se fasse remplacer par un autre ? Sa place dans la fratrie ? Son rôle au sein de l’entreprise familiale ? Sa situation personnelle peut-être ?
Toujours est-il que ce sera le cas, par exemple, pour les frères Marchand, originaires de Guichen. Jean-Pierre remplacera son frère Julien sous les drapeaux en 1856.

Classe 1856 (AD 35 1R 1132)
Après passage en conseil de révision, la concrétisation du remplacement passe par un acte de remplacement. C’est le cas ici pour Emile Désiré Marchand, natif de Dambron (Eure-et-Loir). Il se fera remplacer par Jean Baptiste Lamboley, natif de Servance (Haute-Saône).


Actes de naissance de messieurs Marchand et Lamboley
Si les informations décrites sur l’acte de remplacement peuvent paraître minces, elles nous fournissent néanmoins de précieuses informations.
Nous observons qu’Emile Marchand se fait représenter, ce qui laisse à penser qu’il a bel et bien fait appel à un intermédiaire pour trouver un remplaçant. Sa position sociable, son statut, sa profession l’ont-ils incité à recourir à ce service ? Jean Baptiste Lamboley, quant à lui, est un ancien militaire. Est-ce à ce titre qu’il décide de s’engager pour une nouvelle période de 6 ans à compter de 1854 ? Pour se faire un petit pécule avant de retourner s’installer dans sa région d’origine ?

Acte de remplacement Marchand / Lamboley
Une fois de plus, de nombreux questionnements se posent à nous. En généalogie, aucun acte, aucun document n’est anodin. Chacun d’entre eux nous incite à chercher plus loin, à s’interroger sur la vie de chacune des personnes citées, et à en apprendre davantage sur la réalité de leur labeur quotidien…
Sources
– Archives privées, Michèle Bodénès
– Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (cotes 1R 1131, 1R 1132)
– Archives départementales de Haute-Saône
– Archives départementales d’Eure-et-Loire
Bibliographie
– WAQUET, Jean. Le remplacement militaire au XIXème siècle. In: Bibliothèque de l’école des chartes. 1968, tome 126, livraison 2, pp. 510-520.